Olivier Dall’Oglio : “l’ASSE ne doit jamais descendre, il y a eu des erreurs” [Exclu]
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Aujourd'hui à la recherche d'un nouveau projet, Olivier Dall'Oglio a pris le temps de revenir sur ses expériences à Montpellier et Saint-Etienne en exclusivité pour Top Mercato. L'entraîneur de 61 ans évoque son travail au quotidien, son projet de jeu, la nécessaire adaptation à l'environnement et l'importance du travail mental avec les joueurs.
TM : Olivier Dall'Oglio, quand on est un entraîneur en activité, on a des journées bien remplies : les séances, la gestion collective et individuelle, les réunions avec le médical, les préparateurs physiques, les dirigeants, les médias et les préparations de match. Et quand un entraîneur n’a plus de club, comment reste-t-il connecté avec le foot professionnel ?
ODO : Ce n’est pas évident. Souvent, le staff s’éclate. Mon adjoint Grégory Peres habite pas loin de chez moi, mon préparateur physique Benjamin Guy n’est plus à Saint-Etienne mais est en Bourgogne. Il reste le téléphone, mais ce n’est pas pareil. Chacun de notre côté, on suit les matches, on suit l’actualité, on se rencarde aussi sur les possibles destinations avec notre réseau. Et c’est assez difficile d’anticiper aussi car notre prochaine destination pour nous offrir des challenges totalement différents, sur de la L1, de la L2, l’étranger. Quand on arrive à Saint-Etienne en décembre 2023, on a la chance d’avoir Benjamin Guy déjà en place, qu’on connait bien, donc on se plonge rapidement dans le projet, même si on avait suivi de notre côté déjà des matches de l’ASSE.
Après chaque période d’inactivité, vous avez su rebondir. Quand on vous écarte de Dijon vous rebondissez quelques mois plus tard à Brest, promu en L1, qui séduit par son jeu. Quand on vous écarte de Montpellier, vous rebondissez un an plus tard en cours de saison à l’ASSE, en difficulté en L2 mais que vous faites monter en L1. Pour bien repartir dans un nouveau club, il faut solder l’expérience précédente, en faire un bilan honnête avant de repartir ?
Après Saint-Etienne, j’ai eu l’occasion de rejoindre un club tout de suite. Je ne me sentais pas d’y aller. Quand c’est en cours de saison, on reprend souvent un club en difficulté, et j’avais besoin de solder et digérer l’expérience à Saint-Etienne. Les contacts disparaissent, on se retrouve à la maison, on casse le rythme. Cela dépend du caractère de chaque entraîneur, mais je préfère laisser un peu d’espace quitte à ne pas retrouver rapidement derrière un nouveau club. L’expérience aide quand même à mieux gérer ces périodes, à faire un bon bilan, à progresser à l’intérieur du staff. Certainement que j’ai fait des erreurs à Saint-Etienne et que des choix n’ont pas été judicieux, mais mon staff pourrait vous le dire, on avait anticipé ces grandes difficultés dès l’intersaison. Il n’y avait pas de surprise.
Entre le départ de Dijon et celui de Saint-Etienne, on vit l’expérience de la même manière ?
L’expérience à Dijon a duré plus de neuf ans donc il y avait une construction importante dans ce club. Cela avait été difficile avec une mauvaise surprise le 31 décembre pour moi en devant partir rapidement avec beaucoup de quiproquo. Quand on est viré une fois, ensuite, on a plus de recul. Je pense qu’aujourd’hui, les entraîneurs doivent accepter que cela fait partie du jeu. Les expériences sont de plus en plus courtes. Oui, c’est vraiment court maintenant. Pour certains c’est anxiogène de ne pas travailler, mais je pense qu’il faut aussi l'accepter. Cela dépend des attentes de chacun, de la situation familiale, de l’âge et de multiples facteurs.
“En Ligue 1 avec l'ASSE, on a vite vu qu'il allait nous manquer des choses“
Et est-ce qu’on regarde les matches de son ancien club ou il faut laisser passer du temps ?
Après Saint-Etienne, vu comme cela s’était passé avec les nouveaux dirigeants, j’ai regardé de suite après mon départ. Je voulais voir l’évolution. Parce que je leur avais dit un certain nombre de choses, y compris dès la montée. On avait longuement parlé sur le recrutement et je voyais bien tout au long de l’été, qu’il allait nous manquer des choses. J’ai insisté et évoqué les problèmes qu’on rencontrerait. Donc quand on m’écarte en décembre, j’accepte parce que je n’ai pas le choix, et je regarde comment ça se passe. Et puis je constate. C’est malheureux parce que l’ASSE ne doit jamais descendre. Il y a eu des erreurs, notamment dans le recrutement.
On voit bien avec l’arrivée d’Horneland que même si tout n’est pas similaire entre vous dans ce qui est demandé, il rencontre en Ligue 1 les mêmes problèmes de fragilité, d’inconstance, de manque de leader…
Il y avait des limites, c’est évident. En tant que nouvel entraîneur, il arrive avec ses idées et sa fraîcheur, tout en devant adhérer aux demandes des dirigeants. Ils voulaient du jeu vers l’avant, mais ça, on le veut tous. Les trois-quarts des entraîneurs veulent ça, veulent jouer au foot, marquer beaucoup de buts. Mais, c’est trop facile de voir le foot comme ça. Moi je voyais aussi les conséquences potentielles pour le club, pour son avenir, pour ce qu’une descente amène chez les salariés. Donc s’il faut modifier ses propres idées pour sauver le club, il ne faut pas hésiter. C’est ce que j’ai fait.
Le recrutement ne semblait pas à la hauteur d’une remontée en L1 malgré un propriétaire qui se montrait ambitieux pour l’ASSE.
C’est pourtant ce qui a été fait. Ce qui peut être surprenant quand on est un dirigeant d’un certain niveau, c’est de penser que tout va se passer très vite, qu’un garçon qui arrive de Nouvelle-Zélande (Ben Old, ndlr) ou d’Autriche (Augustine Boakye, ndlr), en étant très jeune, va être immédiatement performant. On sait qu’on va être en difficulté d’entrée car beaucoup d’éléments doivent se mettre en place. Et pendant ce temps-là, on ne gagne pas. On sait qu’on devrait être meilleur plus tard, mais en attendant on n’avance pas.
Il n’y avait pas de souci avec le projet Kilmer, les jeunes, la data, mais il faut prendre en compte l’aspect humain dans l’arrivée des recrues. C’est ce que j’avais demandé : un ou deux joueurs d’expérience et on ira certainement plus vite pour les intégrer et on prendra des points. C’est là que ça a coincé. Et c’est vraiment dommage. Car il y a la descente, et l’ASSE ne devrait pas être en L2. Ce club ne doit pas être en danger pour descendre. Là, il fallait être patient avec une urgence de résultat, c’était incompatible.
Et quand en plus, dans une adaptation nécessaire à un nouvel environnement, le joueur se blesse, le retard augmente. Comme avec Ben Old.
La data est un bon outil mais il ne peut pas se substituer à tout le reste. On a trouvé Ben Old en Nouvelle-Zélande. J’ai eu l’occasion de beaucoup voyager, je suis allé en Nouvelle Zélande et je connais la difficulté des 25 heures d’avion et du décalage horaire pour un athlète de haut niveau.
Lui était international, donc cela voulait dire que sur septembre, octobre et novembre, il avait des allers-retours à faire en Nouvelle-Zélande. Et encore, quand sa sélection joue dans son pays, ça va, mais on peut rajouter des matches à Vanuatu ou dans d’autres îles à plusieurs heures d’avion. Il fait son match, il revient et il faudrait qu’il soit très efficace avec l’ASSE ? Non, il va se blesser ! Ça n’a pas loupé. Il a été absent six mois. C’est un être humain, pas un robot. Et Ben Old est ultra sérieux, hyper carré, c’est un bon joueur. Mais il faut prendre ces éléments là en compte pour comprendre le terrain.
Le joueur expérimenté amène un niveau censé être plus aligné avec ce qui est requis en L1, Il influe aussi sur la gestion d’un vestiaire, le mentoring… cela vous a beaucoup manqué ?
C’est un des manques de la saison. On monte avec un groupe qui n’a pas survolé la L2, on passe de justesse les barrages. Quand on arrive en L1, on n’a plus nos leaders qui ont permis au club de monter et qui ont tenu les six mois avec moi comme Anthony Briançon ou Thomas Monconduit. Ces garçons-là ne sont plus là ou plus considérés. Il faut aussi remplacer les leaders de vestiaire. On revient sur l’aspect humain d’un groupe. On avait pris Yunis Abdelhamid qui s’est retrouvé esseulé, qui a été aussi en difficulté ensuite sur le terrain. C’est ce que je lui avais dit : “occupe-toi déjà de toi parce que tu ne pourras pas tout gérer.”
Mais il y avait un tel besoin de gérer le groupe, que Yunis a pris à coeur tout ça, même trop. Les joueurs expérimentés de talent que j’avais demandé, auraient permis à tout le groupe de souffler un peu en se reposant sur eux. La sociologie d’un vestiaire est très importante. Et il faut le faire comprendre. Et tout le monde n’est pas prêt à l’entendre. Des choses se passent aussi entre joueurs dans le vestiaire, sans intervention de l’entraîneur. Et si cela ne se fait pas, ça sera compliqué sur le terrain. Sur le terrain, on voit quand une équipe est cohérente.
C’est si difficile à faire comprendre à un dirigeant aussi expérimenté qu’Ivan Gazidis qui a baigné dans des contextes footballistiques de haut niveau depuis 15 ans ?
La preuve. Après on n’a pas vu souvent Ivan Gazidis à Saint-Etienne. Les dirigeants n’étaient pas là constamment. Les échanges se faisaient avec les personnes autour de lui. On n’avait peut-être pas la même vision sur l’importance de certains détails qu’on vient d’évoquer dans la construction d’un effectif. Je n’ai pas ressenti une attention particulière par rapport à ça. Je voulais récupérer Cardona par exemple que je connaissais bien, que j’avais eu en L2, dont je savais quantifier l’apport. Mais ce n’était pas dans leur plan. Et ça a finit par le devenir, puisqu’ils l’ont recruté au mercato hivernal après mon départ de l’ASSE. Je ne devais pas être trop loin de la vérité quand même. Mais cela s’est fait car le club était dans une grande difficulté, alors qu’on pouvait l’anticiper.
Il nous fallait aussi un milieu de terrain en plus. Il le fallait encore après mon départ. Sauf que lors du premier match d’Horneland, l’ASSE gagne 3-1 contre Reims. La victoire peut amener différents niveaux d’analyse. Le résultat et la prestation. J’ai vu le match. Reims était en très très grande difficulté. Je pense que la conclusion a été : “on n’a pas besoin de recruter un milieu supplémentaire”. Sauf que derrière, on a bien vu qu’il y avait un creux dans ce secteur de jeu.
L’ASSE a plus dépensé cet été pour la saison en Ligue 2 que pour entamer la saison de Ligue 1 sous vos ordres en août 2024.
Ils ne pouvaient pas se louper une deuxième fois. Après, j’ai entendu des choses un peu bizarres comme “maintenant c’est le vrai projet Kilmer qui se met en place”. Ah bon, j’avais compris que c’était avant, moi (sourire). On comprend aussi que quand il y a de nouveaux investisseurs, ils veulent tout maîtriser. Petit à petit, ils écartent du monde. Cela peut aussi se comprendre. Ce qui est regrettable, c’est qu’il y a une descente au bout et que là il faut remonter. Ce qui est intéressant maintenant, c’est de réussir à construire pour la L1 dès maintenant tout en étant en L2 et en accrochant l’objectif de la montée. Il faut déjà trouver l’ossature pour ça.
L’année où vous montez, Auxerre remporte la L2 et a déjà une ossature de L1 qui a amené une belle saison 2024/2025 dans l’élite.
Parce que c’est difficile de repartir de zéro quand on monte ! L’intelligence d’Auxerre a été de garder cet effectif solide et les garçons les plus forts étaient aussi les leaders : Jubal, Perrin, etc. Il y a des choses qui dépassent parfois les entraîneurs. Des décisions se font entre joueurs. Quand j’arrive à Saint-Etienne et qu’on monte, les gens me disaient : ‘Vous aviez 5% de chances de monter, qu’est-ce que vous avez fait pour que ça marche ?' À un moment donné, cela peut vous dépasser.
J’ai exprimé mes idées, mes concepts et ce qu’on devait mettre en place pour réussir, mais ce sont les joueurs qui se sont appropriés tout ça et les leaders ont décidé qu’il fallait être plus rigoureux, plus exigeants. Une forme d’auto-régulation du vestiaire. L’entraîneur fait sa part du boulot, mais les joueurs décident aussi du court terme. Quand on prend Cardona en L2, je savais que la mentalité était top et qu’il suivrait l’élan. Le déclic, ce sont les joueurs entre eux qui se sont donnés cet objectif de la montée.
“Lucas Stassin est ambitieux donc il a rajouté du travail personnel“
On parlait de recrutement tout à l’heure, et du temps d’adaptation. Quand Lucas Stassin arrive, il est très critiqué au début. C’est la plus grosse recrue de Kilmer, il ne marque pas un but. Et aujourd’hui, il est adulé et on l’envoie dans des gros clubs de L1. Pourtant il avait les mêmes qualités en août qu’en avril.
Il avait évidemment ces qualités. Le contexte de Lucas c’était : j’ai 19 ans, je joue dans un club moyen de Belgique, je suis le plus gros transfert de l’histoire du club et je deviens l’avant-centre de ce club mythique. Bah mentalement, même s’il est costaud, c’est dur. C’est dur parce qu’il y a une attente du public et de tout l’environnement du club. Et on ne regarde pas s’il a 19 ans ou pas. On veut tout, tout de suite. Ils ont besoin aussi d’acquérir de la confiance, de s’habituer au rythme des matches et des entraînements. Nous, les coaches, on le sait bien ça.
Je prends souvent l’exemple de Nayef Aguerd qu’on a eu en 2018 à Dijon. Je me rappelle très bien que quand il arrive, on voit son potentiel, mais on sait qu’il lui faudra au moins six mois. Il ne fera que 4-5 matches au début, et après il sera prêt. Il a de la qualité, il est motivé et passionné, mais il faut le structurer. Pour Stassin, c’est la même chose. Au début, il s’est fait bousculer. Il ne jouait pas tout le temps, donc il a aussi réfléchi, il a cherché des solutions, il se demande de quoi il a besoin, ce qu’il peut faire en plus : “cela fait deux ou trois fois que je prends un coup d’épaule et que je mange le grillage, je vais travailler sur le renforcement musculaire.” Lucas est ambitieux, son père a joué en pro, donc il a rajouté du travail. Et ce n’est plus le même joueur.
Un autre exemple : quand on prend Cardona en L2. Top mentalité, je le connais bien, je sais qu’il a besoin de s’approprier son nouvel environnement. Ses 4 premiers matches ne sont pas bons. Ses premiers entraînements ne sont pas bons. Mais il fallait le laisser sur le terrain. Quand je le mets encore titulaire à Angers, au club on me regarde de travers. Et il a le déclic, il marque un doublé. C’est important de bien connaître les joueurs, leur caractère. Encore plus dans les clubs avec un effectif limité. Quand vous êtes à Chelsea, le latéral n’est pas bon, vous en prenez un autre. Nous, on doit travailler différemment. On doit peut-être mieux communiquer, aussi vis-à-vis du public pour leur faire comprendre ça.
On revient sur la gestion humaine et sur le travail de préparation mentale avec les joueurs.
C’est un de mes combats depuis que je suis entraîneur. Pourquoi ? Parce que j’ai vu des joueurs dans mes clubs rester à l’hôtel pendant deux mois, parce qu’ils sont seuls, ou parce qu’ils ne trouvent pas d’appartement, parce qu’on ne les aide pas dans les démarches. J’ai vu des recrues effondrées par leur situation personnelle. Le logement, l’école de l’enfant, l’environnement personnel, tout ceci est très important. Mettre en place une structure est fondamental. Par exemple, puisque j’y étais, au Stade Brestois, il y a une personne chargé de tout ça. Quand j’arrive à Brest, c’est mon référent. C’est pareil pour les joueurs et leur famille. Le joueur est un humain, pas une machine. Il faut arriver à le comprendre. Et dans les clubs, tous ne le comprennent pas. On te parle de salaire, mais ce n’est pas le sujet ! Investir sur une structure finira par te rapporter gros sur le terrain. Ne pas le mettre en place par souci d’économie est une erreur.
À Saint-Etienne, on l’avait pris en compte mais cela avait du mal à se mettre en place. Je voulais même qu’il y ait un suivi régulier, pas juste quand un nouveau joueur arrive sur les premières semaines. Un joueur ne parlera pas ouvertement à son entraîneur car c’est un aveu de faiblesse. Même si moi je suis sensibilisé à ce sujet, pour eux c’est compliqué. Souvent, ils attendent d’être vraiment mal pour en discuter avec le coach. Il faut installer ces structures. Sur le plan humain, on a encore beaucoup de travail dans le foot.
À Dijon et à Brest, on a eu le sentiment que vous aviez parfaitement réussi à installer votre projet de jeu. De l’extérieur cela semblait plus compliqué à Montpellier (avec les ventes de Laborde et Delort en fin de mercato) et Saint-Etienne en L1. Est-ce que vous êtes d’accord avec ce constat et quels sont les éléments essentiels pour bien réussir cette période d’installation des fondements de son jeu auprès des joueurs ?
Je pars sur un projet de jeu plutôt offensif. C’est ce qui me plait. Par contre, j’ai besoin de sentir que je peux m’appuyer sur de vrais défenseurs. Il me faut des joueurs capables de gérer les espaces et la profondeur. J’aime aussi laisser beaucoup de liberté pour mes latéraux. J’ai ce côté offensif. Mais il faut avoir les moyens de ce projet de jeu.
Par exemple à Montpellier, le club vend Laborde et Delort en août, et au sein du club, ça ne devait rien changer sur les attentes dans la saison, on devait être top 10, alors qu’on enlève les deux joueurs les plus décisifs offensivement. Ce n’est pas ma vision à ce moment-là. Autant, c’était prévu pour Laborde mais pas pour Delort. Donc je me retrouve avec un front offensif transformé et la perte de trois leaders (Hilton, Laborde et Delort). Qui va prendre les choses en main ? Qui est leader, qui donne l’exemple ? On n’est pas sur les mêmes profils que les trois partants. Il fallait reconstruire. Et là, j’ai deux choix. Ou bien je m’adapte à l’effectif. Ou bien je pars drapeau en avant en attaque. Mais ça, ça ne marche pas. Et j’ai l’avenir du club à l’esprit. Mes propres convictions doivent changer, ou plutôt, je ne peux plus les appliquer. Donc je choisis de m’adapter. Et tout le monde ne le comprend pas. Je suis viré en étant 11e de Ligue 1 et on me fait comprendre que ce n’est pas suffisant et qu’il faut plus de jeu offensif. On a vu la suite.
À Saint-Etienne, Horneland arrive avec sa fraîcheur et le premier match contre Reims est spectaculaire. Tout le monde s’enflamme, et trois matches après, ça ne va plus car c’est trop offensif. Les idées, on les a. Moi je les ai. Mais je n’ai pas envie que Montpellier descende. Même chose à Saint-Etienne. Donc je m’adapte. Cela implique de laisser de côté quelques convictions. Les difficultés que j’ai eues à l’ASSE, je savais que mon successeur les aurait. Il n’y a pas de surprise. On vous dit qu’il faut changer de système, il y a beaucoup de conseillers dans ces moments-là. Je voulais voir parce qu’on pouvait se demander si c’était seulement de ma faute, que je n’y étais pas arrivé, tout ça est possible. Et on voit la suite… Les travers sont les travers. Pour tous les coaches. Quand je prends la succession de Laurent Battles à l’ASSE, j’ai eu les mêmes problèmes que lui. Après, on a réussi à monter. J’ai aussi profité de ce qu’avait fait Battles. Après on dit ‘ouais Dall’Oglio a fait monter Sainté', mais Laurent a bossé aussi.
“Il n'y a plus d'argent pour le foot en France”
Vous avez connu comme joueur et entraîneur des clubs avec un fort ancrage local. Brest, Montpellier, Saint-Etienne et Strasbourg. Au RCSA, il y a des tensions en ce moment entre les dirigeants et une partie des supporters. On a vu Liam Rosenior s’inquiéter de cette atmosphère négative. À quel point vous êtes attentif à ça en tant qu’entraîneur ?
Rosenior a raison de demander de l’unité avec les ultras et le reste du public. On est tous comme ça, car ça peut vraiment faire la différence. Le contexte strasbourgeois est aussi très particulier. J’y ai joué pendant trois ans et j’avais rencontré quelques difficultés autour de l’ADN local. Quand j’arrive au club, le président est Daniel Hechter. C’est un Parisien et, déjà, ça grinçait des dents. Ça gênait beaucoup de personnes. Dans l’idéal à Strasbourg, en raison de leur histoire, c’est avoir un club d’Alsaciens, avec des joueurs alsaciens et des dirigeants alsaciens. Je pense aussi que c’est pour ça que certains supporters grognent car ils sont attachés à cette identité. Quand ils sont champions en 1979, il y a beaucoup d’Alsaciens comme Specht, Gemmrich et d’autres. Leur idéal, c’est ça.
Quand j’arrive en 1989, le club vient de descendre en L2. Moi je viens du Sud, deux autres joueurs également (Sansone et Orsoni, ndlr) et au départ, cela a été compliqué pour nous car on était du Sud. On nous appelait “Les Sudistes”, ça veut tout dire. On était “Français de l’intérieur” et “Sudiste”. On a appris le terme “Français de l’intérieur”. Parce qu’on n’était pas Alsacien. On partait de loin. Mais ça s’est bien passé ensuite.
Je connais bien Marc Keller, et il fait du bon boulot. Il sait que le foot évolue et qu’en France, il n’y a plus d’argent pour le foot. Strasbourg n’a pas de problème financier comme les autres clubs. Il faut faire un choix : évoluer, grandir et être compétitif, ou bien disparaître petit à petit. Quand je vois les réactions de Rosenior, je ne suis pas surpris qu’il réclame de l’unité. Il sait qu’il peut perdre des points parce qu’il y a une grève des encouragements par exemple. À Saint-Etienne, je travaillais beaucoup avec les kops sur ça, parce que je savais que quand ils n’étaient pas là, peut-être que j’aurais plus de difficulté à gagner le match. Contre Bordeaux en L2, on gagne dans les arrêts de jeu parce que le stade devient fou.
Tout à l’heure vous évoquiez Nayef Aguerd et son adaptation à Dijon. Quelques années plus tard, c’est un joueur référencé, qui vient de rejoindre l’OM. Que peut-il apporter à la défense marseillaise ?
L’OM a évolué. La solidité vient aussi du recrutement de Pavard et Aguerd. Nayef amène de la sérénité, il n’est pas hyper expansif. C’est un joueur constamment performant. C’est un joueur rassurant pour un coach et ses coéquipiers. Et quand vous ajoutez aussi Pavard, cela donne de la sécurité et de la sérénité à un groupe. Et ils sont réguliers dans la performance. Ils peuvent stabiliser l’OM pour éviter le phénomène de montagne russe souvent présent dans un club comme Marseille. Nayef sera capable de faire un rappel à un joueur sans passer par le coach. S’il voit que quelqu’un n’est pas à fond ou pas calibré sur l’exigence, il sera capable de lui dire. Car il est lui-même dans l’analyse. Il est dans la communication, il ne va pas se braquer. Il va aller chercher des manques qu’on peut lui indiquer.
Et dans le jeu aérien, il est excellent. À Dijon, on avait remarqué ça, il reste en l’air plus longtemps que les autres. Et quand vous l’associez à un bon timing, cela donne un avantage dans les deux surfaces. Il sent quand il faut y aller. Je me souviens qu’avec Dijon, il marque à Nice, dans un match qu’on gagne 4-0. Il avait marqué comme ça en restant en l’air très longtemps sur un long centre. Nayeg Aguerd amène beaucoup sur l’exigence auprès de ses coéquipiers. Parfois, on voit un Greenwood un peu tranquille. Il pourra influer sur ça.
Puisque vous évoquez Greenwood, on oppose souvent projet collectif et talent individuel dans le foot alors que les deux sont liés. Les collectifs forts sont aussi sublimés par des individualités, si elles s’inscrivent dans le projet collectif. De part votre expérience, est-ce que les joueurs talentueux sont difficiles à intégrer dans le collectif quand ils savent qu’ils peuvent faire des différences individuelles et que parfois le raccourci (action individuelle) va plus vite que l’élaboration collective d’une action ?
C’est l’un des principaux problèmes de l’entraîneur. D’ailleurs, plus objectif que problème. On a affaire à des joueurs offensifs, plutôt tournés vers eux-mêmes. L’influence de ce qui se dit, des stats a parfois un effet néfaste sur le développement du joueur et de son égo. Réussir à leur faire comprendre que c’est à travers le collectif qu’ils vont briller et se développer est primordial, et c’est un vrai travail.
À Dijon, j’avais Tavares et Diony, l’un très collectif, l’autre un peu moins. Il faut qu’on fasse adhérer chacun dans un rôle collectif, lui montrer qu’il sera bien meilleur s’il se tourne vers ses coéquipiers. La difficulté réside dans l’équilibre. Une individualité très forte peut te résoudre un match sur un coup de génie ou une action individuelle. Mais si tu bases ton jeu sur ça, le jour – et il y en aura plusieurs – où l’individualité ne répond pas, tu n’existes pas. Et il peut même te poser des problèmes, s’il perd des ballons, s’il agace ses coéquipiers, etc.
Autre joueur que j’ai eu, Elye Wahi. Le replacement défensif, ce n’est pas son truc. Je lui disais : “Elye, aujourd’hui, les grands joueurs, ils font tout. Parfois ils font des appels en sachant qu’ils ne seront pas servis, mais tu vois, ils ouvrent des espaces pour les autres. Le travail sans ballon est important.” Parce que l’attaquant, de manière générale, quand vous lui parlez de jeu sans ballon et d’ouvrir des espaces pour les coéquipiers, dans sa tête il se dit qu’il est là pour marquer, pas pour ouvrir des espaces aux autres. Donc là, on peut lui faire comprendre que l’espace créé pourra être utilisé par un coéquipier et qu’ensuite ce même coéquipier pourra peut-être le servir dans de meilleures conditions face au but. Là, ça cogite un peu. Mais tant que cela n’a pas été vécu, c’est parfois compliqué de les convaincre. J’ai eu des joueurs qui un an plus tard sont revenus vers moi pour me dire que ce que je leur avais dit s’était produit plusieurs fois. Et qu’ils l’avaient désormais intégré.
Parfois ils ont besoin d’aller à l’étranger pour le comprendre.
Je pense que l’étape de vivre le football à l’étranger est très très souvent bénéfique. Si un joueur n’est pas assez rigoureux, il va goûter au banc. On ne les attend pas à l’étranger. Il y aura quelqu’un d’autre pour prendre sa place. Et tu réalises que tu es en train de passer à côté. Et alors le niveau d’implication et de travail augmente. Quand certains reviennent en France, ce sont d’autres joueurs. Pierre Lees-Melou était un bon joueur quand j’étais à Dijon. Après son séjour à l’étranger, c’était encore un autre joueur.
J’ai eu l’occasion de discuter avec plusieurs entraîneurs étrangers quand ils sont arrivés en France et l’une des premières observations était que le joueur français, très talentueux, n’était pas très discipliné. Si on ne l’oblige pas, il ne fait pas. Et un entraîneur étranger m’expliquait qu’il était surpris parce qu’il était obligé de gérer la discipline dans le club. Lui était habitué à autre chose dans un grand championnat et me disait que ce sont les leaders qui attrapaient les brebis égarés et auto-régulaient le vestiaire. En France, il faut convoquer le joueur dans le bureau de l’entraîneur. Ce coach étranger m’expliquait que les leaders du vestiaire géraient eux-mêmes ceux qui sortaient du cadre.
On part de loin en France à ce niveau-là ?
Aussi parce qu’on n’a pas la même force que les clubs à l’étranger. Que voit-on aujourd’hui ? Nos jeunes sont débauchés de plus en plus tôt. Pour certains jeunes la rigueur est un élément perturbateur dans leur développement. Que fait un club ? Il veut pouvoir faire signer le contrat professionnel à son jeune talentueux. Le club aura-t-il envie de réclamer cette rigueur quotidienne, quitte à se fâcher un peu, ou bien souhaitera-t-il lui faire beaucoup de concessions pour maximiser ses chances de le signer professionnel ?
Moi à Sainté, j’ai vu Djylian N’Guessan. Il a du talent, c’est évident. Mais il n’était pas prêt pour la Ligue 1. C’est un 2008. Il venait d’avoir 16 ans. Mais pour le conserver, on lui a promis la Ligue 1. Là, il y a une vraie réflexion à avoir. Même chose pour Mathis Amougou. C’est un garçon hyper sérieux, il n’y a pas de souci. Chez nous, c’était un peu le chouchou mais moi je lui disais : “Je ne vais pas te chouchouter”. Alors, on le protège quand même un peu, mais lui avait l’ambition de jouer en Ligue 1 à 17 ans. Mais je lui disais qu’il fallait me montrer qu’il pouvait, et pas que sur une séance, sur quelques semaines au moins. Ce n’est pas un métier facile footballeur. On peut faire la liste de tous ceux qui ont joué en sélection U17 avec la France et qui ont joué au mieux en L2 ou National. Ce n’est pas si simple, il faut durer.
Et il y a un autre sujet, plus général et pas du tout lié aux joueurs que je viens de citer, mais à la discipline. Si on a un problème disciplinaire, que fait-on ? On lui met une sanction financière, mais il joue quand même ? On l’écarte du groupe ? On le met sur le banc ? Mais nous, entraîneurs, on a un match à jouer, comment gère-t-on la potentielle absence dans des effectifs réduits ?
A Nice, Franck Haise avait décidé de punir Clauss et Moffi contre la Roma en Europa League en les mettant sur le banc pour un retard… mais il a fini par les faire entrer en cours de match devant le besoin de revenir au score.
Les joueurs peuvent rigoler et à l’arrivée Franck Haise perd le match. Qu’est-ce qui est le mieux ? Dans 10 jours, on aura oublié la sanction prise mais le résultat est inscrit et reste.
Jusqu’où peut aller Lucas Stassin ?
J’ai encore besoin de temps pour évaluer Lucas. Je sais que c’est un compétiteur, il aime ça. Il mettra tout en place pour être performant. Il se déplace très bien, il a un bon timing dans ses mouvements. Cela nous avait marqué lors de son arrivée. Il est aussi souvent dans les bonnes zones. Il y a la dimension athlétique où il doit continuer de travailler. Il doit se faire une carapace. Il a déjà amélioré sa densité physique, mais il en a besoin pour ne pas exploser dans les duels. Il peut encore progresser techniquement devant le but. Mais ce qu’on voit est très intéressant.
“J'ai beaucoup regardé Brighton sous De Zerbi”
Il y a des clubs ou des entraîneurs que vous suivez particulièrement, il y a des tendances que vous observez, des aspects tactiques qui vous intéressent.
Je regarde de tout. Je ne suis pas fixé sur un club ou un entraîneur, ni même un championnat. J’ai regardé par exemple Arsenal pour sa gestion des coups de pieds arrêtés. On analyse. On se demande si c’est réalisable et réplicable à une autre échelle. Cela nous donne aussi d’autres pistes sur ces phases de jeu. J’ai beaucoup regardé Brighton sous De Zerbi. On regarde des équipes sur les phases de sortie de balle. Je mesure jusqu’où va la prise de risque. J’ai des accroches comme ça. J’étais défenseur donc je regarde beaucoup cet aspect. C’est un peu mon truc, y compris dans les séances d’entraînement. Par exemple le positionnement sur les centres. Je disais à mon adjoint qu’il y a une quantité de travail énorme à faire là-dessus, notamment dans la formation. J’aime bien regarder Marquinhos, comment il gère le ballon à l’opposé, comment il se place, comment il oriente son corps. En ce moment, je regarde beaucoup de clubs qui sont à 3 derrière. Ou certains entraîneurs habitués à jouer à 4, qui passent à 3 sur un ou deux matches, pour voir comment les défenseurs réagissent au changement. Gasperini à l’Atalanta, ça m’a beaucoup intéressé. L’aspect temporel a été super pour lui, on lui a laissé le temps d’inculquer ses principes, de prendre les joueurs qui acceptent de jouer comme ça, qui ont la qualité pour ça.
On voit de plus en plus de défenseurs éloignés de leurs adversaires, le travail avec les bras qui décroit, le positionnement aléatoire du corps sur des centres.
C’est un travail que je fais avec mes défenseurs. Le travail avec les pieds. Comment les pieds sont orientés et plantés dans le sol. Parce que si tu es en retard sur ta prise d’appuis, derrière tu as 2 mètres de retard sur ton attaquant. Certains me regardent avec les yeux écarquillés. Si tu es plus ouvert ou plus fermé, ce n’est pas la même chose. Comment tu gères le contact pour ne pas qu’il te passe devant. Ça se joue à 20 cm, à un petit angle supplémentaire. Certains ont des bras qui ne servent à rien. On est dans les détails. Mais des détails qui comptent.
Vous étiez en discussions avec le Stade de Reims cet été, cela aurait pu être un joli rebond ? C’est ce genre de projet que vous recherchez ?
C’est vrai que j’ai beaucoup échangé avec le Stade de Reims. J’ai rencontré Jean-Pierre Caillot, les dirigeants, je suis allé sur place pour voir les structures d’entraînement. C’était très avancé. Et ils ont fait un autre choix (le Belge Karel Geraerts, ndlr). Oui, ce genre de projet est intéressant. Que ce soit en L1, en L2, à l’étranger, on regarde un peu tout ce qu’il se passe, pour trouver un banc dans un marché compliqué, mais avec une forte détermination.