Parmi les multiples sujets polémiques relatifs à la Coupe du monde 2022, le principal entoure les conditions d’attribution du tournoi au Qatar en 2010. Cette question a fait l’objet de plusieurs enquêtes médiatiques et judiciaires.

Le séisme du Qatargate

Le 2 décembre 2010 à Zurich, le comité exécutif de la FIFA confiait l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar au détriment des Etats-Unis par 14 voix à 8 au quatrième tour de vote. Le choix du petit Emirat, nain démographique et footballistique, a constitué une énorme surprise, d’autant plus que, comme , aime à le rappeler à chaque interview sur le sujet, le Qatar possédait «le plus mauvais dossier technique de candidature», avec notamment des infrastructures quasi-inexistantes. Comment diable alors a-t-il pu hériter de la compétition ?

En janvier 2013, le magazine France Football, connu et respecté dans le monde entier car à l’origine du Ballon d’Or, publie une enquête choc démontrant non pas des preuves de corruption, mais «un faisceau d'indices qui laisse penser que le Qatar a su se montrer généreux avec les bonnes personnes» afin de s’attirer les faveurs du comité exécutif de la FIFA.

Le fameux dîner de l’Elysée

Au cœur des soupçons, se trouve le célèbre déjeuner qui s’est tenu à l’Elysée le 23 novembre 2010, soit neuf jours seulement avant le vote. Sont présents Nicolas Sarkozy, alors président de la république en France, Michel Platini, à l’époque omnipotent président de l’UEFA et membre du comité exécutif de la FIFA, mais aussi le Prince héritier qatari de l’époque Tamim Hamad al-Thani et le Premier ministre qatari Hamad Ben Jassem.

Beaucoup suspectent Sarkozy d’avoir joué les entremetteurs entre les Qataris et Platini, qui faisait partie des votants pour l’attribution et à qui on prête une certaine influence sur trois autres votants européens (le Chypriote Marios Lefkaritis, l’Espagnol Angel Maria Villar et le Turc Senes Erzik). Dans un premier temps réticent à la candidature du Qatar, «Platoche» aurait changé d’avis suite à ce dîner. «L’histoire a montré que l’intervention de la présidence française sur un membre du comité exécutif de la FIFA a changé le vote», lâchait ainsi Blatter dans l’émission Complément d’Enquête le 13 octobre dernier. «J’ai cru comprendre que la France serait contente si je votais pour le Qatar, mais personne ne m’a jamais rien demandé», admettait dès 2014 Platini, avant de tempérer. «Il n’y avait aucune possibilité de m’influencer sur quoi que ce soit. (…) Beaucoup de monde savait que j’allais voter pour le Qatar.»

Dans les faits, chacun des participants à ce dîner y aura trouvé son compte. Premièrement, le Qatar, évidemment, avec l’attribution du Mondial, suite possiblement à l’intervention de Platini. D’autre part, Sarkozy, supporter du Paris Saint-Germain et ami de Sébastien Bazin, alors représentant de Colony Capital, qui possédait et cherchait à vendre le club de la capitale. Tout le monde connaît la suite de l’histoire, le Qatar rachètera le PSG en 2011, pour un prix de 64 millions d’euros que plusieurs experts, à l’instar de l’homme d’affaires Luc Dayan, jugent disproportionné. Sarkozy n'y serait pas étranger et il aurait largement été récompensé pour ce “service” rendu à son ami.

«Les Sarkozy père et fils ont par la suite été rétribués par Accor, lorsque Sébastien Bazin est devenu le patron du groupe hôtelier en 2014», ajoutait récemment Mediapart. «Ce n’est pas moi qui ai dit à Tamim d’acheter le PSG ou à Sébastien Bazin de vendre le PSG», démentait de son côté l’ex-chef d’Etat en 2018 pour L’Equipe du Soir. Autre contrepartie suspectée : l'achat par le Qatar à la France de 24 avions de combat Rafale pour un contrat XXL de 6 milliards d’euros, qui aurait fait suite à ce dîner, même si Sarkozy ne pourra finaliser le deal, qui sera finalement conclu par son successeur François Hollande en 2015. Côté Platini enfin, suite à une note retrouvée lors d’une perquisition dans les locaux de Colony Capital, certains s’interrogent sur la concomitance entre ce dîner et la nomination, en avril 2011, de son fils, Laurent Platini, comme directeur de l'équipementier qatari Burrda Sport, filiale du fonds Qatar Sport Investment, qui détient le PSG…

Le rôle de Mohamed Bin Hammam

Tout puissant président de la Confédération asiatique de football entre 2002 et 2011, le Qatari Mohamed Bin Hammam a été radié à vie par la FIFA en 2012 pour des faits de corruption lors de l’élection présidentielle de l’instance en 2011. Mais le dirigeant aurait avant cela joué un rôle-clé dans l’attribution du Mondial. Présenté par Le Monde comme «le grand architecte de la victoire dans les urnes de l’Emirat» mais aussi un «grand corrupteur», celui-ci aurait dépensé plus de cinq millions de dollars pour que les responsables du football mondial votent pour le Qatar, accusait le Sunday Times. Bin Hammam aurait notamment rallié les votes des membres de la Concacaf (Confédération d’Amérique du Nord, Amérique centrale et des Caraïbes).

Au-delà du dîner de l’Elysée et de Bin Hammam, le média allemand Bild révélait en 2017 qu’un «ancien membre exécutif de la FIFA a félicité des membres de la Fédération qatarie et les a remerciés par mail pour un virement de plusieurs centaines de milliers d’euros» quelques jours après l’attribution du Mondial au Qatar. Selon la même source, «trois membres exécutifs de la FIFA disposant d’un droit de vote (le Brésilien Ricardo Teixeira, l’Argentin Julio Grondona et le Paraguayen Nicolas Leoz) sont allés à une fête à Rio dans un jet privé de la Fédération qatarie de football avant le vote pour l’attribution de la compétition».

Les enquêtes judiciaires

Forcément, après de telles révélations, des enquêtes judiciaires ont été ouvertes dans plusieurs pays. En France, après trois ans d’enquête préliminaire, le Parquet national financier a lancé en 2019 une information judiciaire sur l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar, mais aucune mise en examen n’a été prononcée jusqu’à présent. Idem pour les enquêtes menées en Suisse et aux Etats-Unis.

De son côté, la FIFA a mené une enquête interne par le biais du président de la chambre d'instruction de sa commission d'éthique, Michael J. Garcia, qui a rendu en 2014 un rapport de 400 pages sur les conditions d’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022. Alors que le document mettait en évidence «des problèmes, sérieux et de grande envergure, dans le processus de candidature et de sélection» de ces deux compétitions, Garcia a démissionné quelques mois plus tard en reprochant au comité exécutif d’avoir opté pour une lecture biaisée de son travail.

D’ailleurs, la FIFA avait fait le choix de garder ce rapport secret, jusqu’à être contrainte de le publier en 2017 après qu’une partie ait fuité dans les colonnes du journal allemand Bild. En dépit de «comportements suspects», l’instance dirigeante du ballon rond avait estimé, qu’à la lecture de ce rapport, il n’y avait pas de quoi remettre en cause l’attribution des éditions 2018 et 2022…