Bien connu des supporters de l’Olympique de Marseille, Aaron Leya Iseka n’a pas eu la trajectoire de carrière escomptée. Un peu disparu des radars depuis son départ de Metz en 2021, l’attaquant de 27 ans sort d’une première saison délicate au CSKA Sofia (1 but en 22 apparitions) après avoir connu pas mal de péripéties ces dernières années. Séisme, guerre qui éclate juste après sa signature, visite médicale échouée… le petit frère de Michy Batshuayi confie lui-même avoir eu l'impression de vivre par moment une “série Netflix“. Avide de rebond, Leya Iseka s’est confié en exclusivité pour Top Mercato. 

Interview réalisée par A.P.

Aaron Leya Iseka, tout d’abord, comment allez-vous ? Vos récentes blessures au genou sont-elles oubliées ?

Ça va bien, merci. J’ai eu un petit pépin au genou il y a quelques mois, qui m’a gêné jusqu’à la fin de la saison. Je pense que je suis revenu un peu trop tôt. Ce n’est rien de très grave. Mais c’est quelque chose de gênant lors de mes courses à haute intensité. C’est juste une petite gêne au genou qui n’a pas très bien été soignée. Mais tout sera en ordre de marche pour la reprise et le début de la nouvelle saison.

Comment cela se passe-t-il pour vous en Bulgarie ?

Honnêtement, cette première saison a été assez mauvaise de ma part au niveau des performances. Étrangement, je n’avais pas de connexion avec mes coéquipiers. Je n’avais pas une très bonne entente avec le coach. On s’entendait bien en tant qu’hommes, mais ce qu’il me demandait sur le plan tactique, cela ne me correspondait pas trop. Je ne remets pas la faute sur les autres. Le premier fautif, c’est moi. Je n’ai pas envie de me trouver d’excuses. 

Cette saison n’a pas été bonne pour moi. J’en suis conscient. C’est un peu complexe avec le club du coup. Ça fait partie du football. J’ai eu une grosse discussion avec le coach en fin de saison, il a été renvoyé depuis. Les cartes sont un peu rebattues. Mais moi, je suis conscient que je n’ai pas fait ce qu’il fallait non plus.

Ces difficultés sont-elles uniquement liées au football ?

Non, pour être honnête, je suis passé de la Crète à la Bulgarie. Pour ma femme, ça a été compliqué. Honnêtement, ce n’est pas le même type de pays. On passe vraiment du tout au tout. Ça ne peut pas être une excuse, en tout cas, je ne me cache pas derrière ça après ce que j’ai appris au fil de ma carrière. Ça a un peu pesé dans la balance, mais ce n’est pas la raison principale. En Bulgarie, on a été un peu surpris, mais rien de grave non plus. C’est juste que c’était l’opposé de là d’où on venait. Personnellement, je n’ai rien à dire, je n’ai pas eu de soucis. Mais pour ma femme, ça a été très difficile. 

“Il y avait une petite déception autour de moi au sein du club”

Le niveau du championnat a-t-il quelque chose à voir là-dedans ?

Non, pas du tout. Je n’ai jamais ressenti le moindre souci lors de mes matchs. C’est simplement qu’il n’y avait pas vraiment de feeling football, technique et tactique avec mes coéquipiers. Par exemple, quand je faisais des appels, il n’y avait pas de connexion évidente ou directe avec mes milieux. C’est difficile à expliquer avec des mots. C’est du feeling et du timing. 

Pendant la première partie de saison, je me demandais ce qui se passait. Je me suis remis en question. J’y ai mis du mien à la reprise. Le stage de préparation hivernale en Turquie s’est bien passé, je me sentais mieux et le problème, c’est que je me suis blessé à ce moment-là et ça m’a freiné. J’ai traîné ça. J’ai joué malgré la douleur, sous anti-inflammatoires, mais c’est moi qui me suis pénalisé et ma deuxième partie de saison a même été pire que la première.

En avez-vous discuté avec la colonie francophone présente au club – Matthias Phaëton, Thibaut Vion et James Eto’o ?

Oui, on en parlait souvent. On est tout le temps ensemble quasiment. Ils me disaient qu’ils voyaient clairement mes qualités, ils essayaient de me maintenir concerné et me rassuraient en me disant qu’avec mes qualités, je ne devais pas me poser autant de questions. Mais bon, à la fin, quand les résultats ne sont pas là, on gamberge. 

J’ai pu aussi percevoir qu’il y avait une petite déception autour de moi au sein du club, par rapport aux attentes placées en moi, ce qui est logique. Ils essayaient de rester positifs, de m’embarquer avec eux. Jusqu’à la fin où ça a été compliqué avec le coach, où on a parlé fermement… 

“Je sais ce que je suis capable de faire”

Vous avez beaucoup bougé dans votre carrière, vous avez connu 11 clubs si j’ai bien compté. Cet été, comment cela s’annonce-t-il pour vous ?

Il y a un nouveau coach qui est arrivé, tout est relancé. Je pense qu’on verra pendant la préparation estivale. Je vais discuter avec le coach la première semaine, je dois le rencontrer, voir comment il sent le truc, ce qu’il planifie pour le futur. Et moi, je dois juste me tenir prêt et tout faire pour faire beaucoup mieux que la saison dernière. Surtout que j’ai la dalle pour vraiment choquer. Je suis optimiste. Malgré ce qui s’est passé, je sais ce que je suis capable de faire. J’ai hâte de reprendre et de discuter avec le nouveau coach pour voir comment ça va se passer. 

Leya Iseka, FC Metz
Aaron Leya Iseka sous les couleurs de Metz en 2021. Crédit photo : IconSport

Ces dernières saisons, vous avez connu la Grèce, la Turquie, Israël et aujourd’hui la Bulgarie. Qu’est-ce que vous gardez de toutes ces expériences sur le plan football, mais aussi sur le plan humain ?

Alors, reprenons depuis le début. Quand je pars en Turquie, à l’été 2022, c’est vraiment à contrecœur. C’est le premier choix de ma carrière que je fais à contrecœur. J’étais à Barnsley et j’étais le joueur le mieux payé alors que le club descendait en League One. Je ne voulais pas partir n’importe où, mais eux, financièrement, ça leur posait un problème, alors ils voulaient vraiment que je trouve un nouveau club, ils me poussaient vers la Hongrie. Mais moi, je venais d’arriver en Angleterre, je ne voulais pas faire n’importe quel choix. Je n’ai pas trouvé de projet qui m’intéressait. 

Mais lors de la dernière semaine du mercato, les Anglais m’appellent pour me dire qu’ils ne m’inscriraient pas et qu’il fallait vraiment que je parte. J’ai dû partir au dernier moment en Turquie, à contrecœur, en deuxième division, à Adanaspor. Ça a vraiment été un choc pour moi, parce que c’est la première fois que j’avais de telles conditions au niveau des infrastructures, du professionnalisme, des paiements. J’ai fait quatre mois sans être payé, puis il y a eu le tremblement de terre à Adana et, heureusement, la FIFA nous a autorisés à signer ailleurs. Le club devait nous payer notre dû, c’était très compliqué et marquant. Avec ma famille, on était en plein milieu pendant le séisme, même si, gloire à Dieu, on a été épargnés. 

“La guerre éclate une semaine après mon arrivée, c'était vraiment digne d’une série Netflix”

Que s'est-il passé ensuite ?

Je vais ensuite dans un autre club à Istanbul, Tuzlaspor. C’était un peu mieux niveau installations, mais pareil au niveau des paiements. Je reviens en Angleterre à la fin de mon prêt. Il me restait encore deux ans de contrat. J’avais toujours mon salaire de Championship. La différence était trop importante avec les autres joueurs du groupe. Du coup, on cherche des arrangements, mais on ne se met pas d’accord. Un club en Israël est venu pour me prendre en prêt. 

Moi, je voulais rentrer en Belgique. J’ai dû partir en prêt au dernier moment alors que je devais signer à Ostende. Tout était ok avec Barnsley. Je passe ma visite médicale là-bas, mais au moment de signer les papiers, on me dit qu’il y a un souci avec les résultats de l’échographie du cœur à cause des ordinateurs. On me dit d’attendre le lendemain et on me dit finalement non à cause de ce souci au niveau du cœur. Ce qui est étrange vu que je n’ai jamais eu aucun souci dans ma carrière sur ce sujet-là. J’étais content de rentrer en Belgique après avoir connu le tremblement de terre en Turquie et, finalement, ça ne se fait pas à cause de tout cela… On est la veille du dernier jour du mercato… Je prends donc l’avion pour rentrer en Angleterre pour retourner à Barnsley. Mon agent m’appelle et me dit qu’ils ne m’ont pas inscrit sur leur liste et que je ne jouerai donc aucun match, mais il m’informe d’une offre en provenance d’Israël pour un prêt de six mois. 

Que faites-vous alors ?

Je suis encore à l’aéroport. J’hésite, mais, en Angleterre, je savais que je n’aurai pas eu de temps de jeu, ça aurait été très compliqué. Je pars donc en Israël pour prendre la température, ressentir les choses. Je rencontre le président, l’une des plus belles personnes que j’ai rencontrées dans ma carrière de football. L’entente s’est super bien passée. J’étais dans le sud, à Hadera. C’était magnifique. Alors je me suis dit que j’allais accepter et faire mes matches pour prendre du temps de jeu et du rythme pendant six mois. Je signe. Je fais ma première semaine d’entraînement, je retrouve un ancien partenaire d’Anderlecht Samy Bourar, je fais mon premier match et je marque un but. J’enchaîne avec un match la semaine suivante. Et alors que le troisième match de la semaine se profilait, on reçoit un sms du club qui nous dit de faire attention, car la guerre a éclaté (suite aux évènements du 7 octobre 2023). 

Je venais d’arriver une semaine auparavant, là la guerre éclate. Je sortais d’un tremblement de terre quelques mois avant. J’étais encore à l’hôtel. Je mets toutes mes affaires dans la voiture, je vais directement à l’aéroport. Pendant que je roule, j’entends des sirènes de partout, c’est vraiment digne d’une série Netflix… Tout le monde courait dans tous les sens, criait. Ma femme, inquiète, n’arrêtait pas de m’appeler. À l’aéroport, c’était un scandale, ça a pris des heures, tout le monde courait partout. Le personnel au sol ne voulait même pas travailler, ils avaient peur. J’ai fini par rentrer chez moi. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Pourquoi ça tombe sur moi ? Barnsley ne veut rien savoir malgré la situation. J’ai passé deux-trois mois à m’entraîner à Bruxelles. 

Finalement, où avez-vous rebondi ?

Je suis arrivé en Grèce. L’OFI Crète m’appelle. Je résilie mon contrat avec Barsnley. J’ai signé là-bas libre. Et là-bas, j’ai pris une bouffé d’oxygène merveilleuse. J’ai ressenti énormément d’amour. C’est un club vraiment familial. Les gens là-bas, ça n’a vraiment rien à voir avec ce que j’ai pu connaître. Ils sont accueillants, chaleureux. C’est une toute petite île où tout le monde se connaît et tout le monde est gentil avec tout le monde. Moi, quand je suis dans des conditions comme ça, avec ma femme et mes enfants qui s’épanouissent aussi, je me sens vraiment revivre. J’ai passé les meilleurs moments de ma carrière là-bas, du premier au dernier jour, ce n’était que du plaisir. La vie est tellement agréable. 

J’ai fait sept mois là-bas. Je suis arrivé libre et le CSKA Sofia a mis 1,5 M€ sur la table pour me recruter, donc ils ne pouvaient pas refuser une telle offre. Et c’est comme ça que j’arrive en Bulgarie. J’avais aussi envie de retrouver l’Europe, car c’était un club qui avait des possibilités réelles de se qualifier en Europe. Malheureusement, on n’a pas réussi cette saison. 

Interview réalisée par A.P.